J'ACCUSE! LETTRE SU JEUNE JOURNALISTE AU JOURNAL COMBAT
Enric Sanmartí
Béatrice Neyrac
Nuria Muñoz
Edouard Haumont
COMBAT Mardi 13 Août 1936
J’accuse ! par Emmanuel Zoé
J’accuse la manière dont s’est déroulé un procès, la semaine dernière, à Alger, où un homme a été condamné à mort pour un meurtre. J’accuse donc le juge, les magistrats, le procureur, et aussi, les journalistes.
Enric Sanmartí, 2d 6
J'ACCUSE!
Demain, un homme sera éxécuté. Ce jour-là, l’aube se teindra de sang..
Le procès a eu lieu en été, un jour d’extrême chaleur, pendant une période où vous le savez tous bien, les nouvelles sont rares. Il y a peu de sujets importants. De ce fait, c’est une pratique commune aux journaux de donner de l’importance au premier fait intéressant qui se présente, faisant ainsi que l’affaire acquière plus d’importance que celle qu’elle a vraiment.
On voit ainsi, que selon leur bon vouloir dans le procès de Meursault, les journalistes ont un monstre cruel, sans sentiments.
L’affaire est déjà montée, et ce qui est le plus impactant, les scénaristes connaissent la “fin”.
Posez-vous ces questions et demandez-vous si ce procès ne devrait pas être révisé.
Prenez en compte les arguments que je vous propose:
Le fait que le procès ait été monté, que ceux qui l’avaient écrit et organisé savaient, et VOULAIENT qu’il se termine ainsi: qu’un homme qui ne rentre pas dans les mesures de ce que la société attend de lui soit condamné, parce que ses différences gênent.
J’accuse la société elle-même de condamner un homme étranger à elle à cause de ses différences.
Béatrice Neyrac, 2d
Alger, 28 juin 1950
J’accuse!
Hier, la justice a condamné à mort un homme, un homme appelé Meursault. Et maintenant vous serez en train de vous demander: “Qu’a-t-il fait ,cet homme , pour avoir avoir été condamné à mort?”. Je vais vous répondre: il a bu du café, il a fumé une cigarette et il n’a pas pleuré le jour de l’enterrement de sa mère. Il a aussi tué un homme mais ça n’a pas eu l’air aussi important lors du procès.
Sur une plage près d’Alger, Meursault a tué un Arabe. Sans aucune raison apparente et avec le revolver d’un de ses amis dans la poche, il s’est dirigé vers une source où il a rencontré, par hasard, l’Arabe. Ce dernier lui a montré son couteau et Meursault a réagi en tirant sur lui. Jusque là, dans un procès normal, Meursault aurait été accusé d’assassinat et condamné à plusieurs années de prison.
Mais si on sait que cet homme est un insensible, la chose change, messieurs!
Cet homme a eu la mauvaise chance que sa mère soit morte quelques semaines avant la rencontre avec l’Arabe.
Pendant qu’il veillait sa mère dans l’asile où elle résidait, le concierge lui a offert du café au lait, Meursault l’a accepté et, à son tour, il a offert une cigarette au concierge. Est-ce que ce n’est pas compréhensible qu’il voulut boire du café pour s’empêcher de dormir et qu’il eut envie de fumer quand sa vie venait d’être bouleversée? Selon le procureur, c’est faire preuve d’insensibilité, et, si on est si peu sensible devant le cadavre de sa propre mère, c’est normal qu’après on tire quatre fois sur quelqu’un. Donc, on l’a condamné à mort.
Mais moi je me demande: est-ce qu’on peut appeler ça justice? Est-ce que la justice ne devrait pas être pareille pour tout le monde? Alors, pourquoi est-ce qu’on ne demande pas à chaque assassin s’il a pleuré le jour de l’enterrement de sa mère, de son père ou de son chat, et s’il a bu du café ce jour-là? On devrait alors changer les lois, n’est-ce pas? “Si quelqu’un tue un homme et”, attention, “s'il ne pleure pas à l’enterrement d’un de ses proches, il sera automatiquement condamné à mort.”
Avec cet article je ne prétends pas dire que Meursault est innocent, mais je dénonce un procès qui, à mon avis, est absurde et ridicule, donc je demande la révision du procès pour que Meursault ne soit pas jugé à cause de ses aactes, mais à cause de son crime.
J'ACCUSE!
Toute la vérité sur le procès de Meursault
Après onze mois d' instruction vient enfin le procès. On ne demande pas à Meursault de se présenter, on lui dit qui il est. La justice paraît ignorer le principal interessé.
Les témoins défilent ( Marie, Salamano, Raymond, Celeste...) mais ils dérangent. Le procureur les écoute à peine, car ils ne disent pas ce que lui aimerait entendre. Leurs témoignages se retournent, à leur insu, contre Meursault. Toutes les nuances, qui ont une importance capitale, sont ignorées par le procureur.
Oui, il y a de quoi se poser des questions sur ce procès...
On ne peut parler que si on va dans le sens de ce que le tribunal pense de l'affaire. Et le tribunal a déjà conclu l'affaire avant même que le procès commence. Dès le début il y a un parti pris contre l'accusé. Tout est faussé... et on parle de justice!
Meursault finit par être coupable de ne pas avoir pleuré à la mort de sa mère, d'être un marginal, étranger à la société. On en oublie la raison principale du procès, la mort d'un arabe.
Même mes collègues se sont pris au piége. Ils se sont rués sur la seule affaire de l'été, le scoop du mois de juin. Sans s'en rendre compte (honte à eux ) ils ont envenimé ce procès, ce procès de l'à-peu-près.
Aujourd'hui, vu les conditions scandaleuses du déroulement de ce procès, j'en demande la révision.
Edouard Haumont, 2d 6, Barcelone, 2007